Il y a les cinéphiles, et les cinéphiles de genre. Si l'un n'empêche bien souvent pas l'autre, le genre au cinéma anime une communauté particulièrement active et passionnée depuis toujours : slasher, folk-horror, ou comédie noire truculente, science-fiction spéculative et film d'action HK, autant de catégories, fragmentées en d'infinies sous-catégories qui font tout autant de niches aux allures de grottes à explorer. Et si l'horreur cinématographique a au moins l'avantage de ne pas dépasser l'écran, certains réalisateurs prennent un malin plaisir à brouiller les fines frontières entre réalité et fiction.
De ces artificiers du réel, le trio italien formé par Gualtiero Jacopetti, Paolo Cavara et Franco Prosperi a marqué leur temps. Animés par une ambition proche du cinéma vérité, cette dernière les a menés à la sortie en salle dans les années 1960 de Mondo Cane (traduit Chienne de vie par chez nous). Documenteur outrancié, choquant et voyeur qui fait le portrait à l'acide d'un monde malade, il n'en reste pas moins un phénomène qui donnera naissance à toute une lignée d'enfants plus disgracieux les uns que les autres : le cinéma mondo.
Genre de niche hermétique par nature, les cinéphiles curieux peuvent désormais faire confiance au travail expert de Maxime Lachaud et Sébastien Gayraud chez Potemkine qui nous font le plaisir de ressortir Mondo Movies : Reflets dans un œil mort dans une version réactualisée et augmentée (le livre étant introuvable depuis sa première édition en 2010).
Vertigineux, c'est un vrai plaisir de se perdre dans ce torrent d'informations, tant le travail de recherche est fourni et clairement rendu. Le déroulé, par sauts de puces de films en films, fascine : au-delà de la simple filmographie exhaustive, Reflets dans un œil mort pose un regard passionné sur ce cinéma d'exploitation, difforme de prime abord, et pourtant d'une richesse hallucinante. A l'instar des films cités, bigarrés et absurdes, ce jusqu'au boutisme, quasi-maniaque par instants, fait du livre une référence incontournable (et surtout unique en son genre) sur un cinéma trop peu étudié.
Et si le mondo étonne de par sa singularité et son irrévérence, Reflets dans un œil mort est au final une véritable lettre d'amour au cinéma, qu'il soit de genre ou plus conventionnel, et plus précisément au documentaire. Les différents ponts faits avec d'autres genres, notamment la Nouvelle vague française ou le cinéma direct des années 1960 témoignent de la culture de nos auteurs, de leur bon goût, et devraient convaincre n'importe quel cinéphile de jeter un œil, bien vivant cette fois, à ces reflets.